Vendredi 15 octobre. Il est 9h35. Cette journée magnifique débute avec un expresso par mille mètres d'altitude. Je regarde sa chaleur se dissiper dans la pièce, son odeur prendre possession des alentours. Je le saisi en tremblant légèrement car mes mains sont encore froides. Quelques minutes auparavant, j'étais encore dehors, devant cet bâtiment construit en 1833 par un certain Antoine LeCoultre. Et dans la vallée de Joux le matin, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il fait froid. Une rigueur climatique qui poussa ses horlogers autodidactes à se perfectionner, mais surtout à mettre un peu plus de beurre dans leurs épinards en fabriquant des petites roues et pignons pour les manufactures genevoises. L'histoire d'Antoine LeCoultre évolua rapidement puisqu'en 1866, le petit atelier hivernal se mua en manufacture, intégrant sous un même toit la fabrication et le développement de mouvements maison. Depuis c'est près de 1200 mouvements mécaniques, 400 brevets déposés et 40 métiers.
Mais assez d'histoire, il est temps d'enfiler la blouse blanche qui nous permettra de d'évoluer à travers les différents ateliers tout en se protégeant des projections d'huiles... projections d'huiles? Ces petites gouttes déposées délicatement sur le rubis pour éliminer au maximum les frottements? Non. Les projections d'huiles mélangées à de l'eau qui servent à refroidir les boîtiers étant découpés à même la matière brut. Car Messieurs nous sommes sur un site industriel où on fabrique l'intégralité des montres. Notre groupe du jour se compose de 10 personnes, toutes amoureuse de mécanique automobile ayant la chance de participer à la visite de la Manufacture Jaeger-LeCoultre. Hervé Estienne, responsable de la boutique à Genève, sera notre guide. Celle-ci commence par l'atelier des boitiers, où sont usinées les boitiers de la fameuse Reverso (qui fête ses 80 ans cette année). Nous entrons également dans l'antre de la précision où une machine de haute volée contrôle un boitier sur sept afin de verifier ses côtes au micron près.... impressionnant! Viens ensuite l'atelier de polissage et l'atelier de sertissage. Toutes ces opérations sont effectuées à la main par des employés au savoir faire inégalé. Le responsable de l'atelier sertissage interrompt son travail pour nous expliquer comment sont sertis les boitiers, les cadrans, les bracelets et les diverses techniques, dont le fameux et magnifique sertissage neige. Nous avons également une chance inouïe car en ce moment précis se trouve en ce lieu hautement sécurisé une pièce absolument unique, non présentée encore.... donc motus et bouche cousue... mais nous en connaîtrons deux chiffres : 5 carats de diamants et une douloureuse de Sfr 600'000.- Outch! La visite se poursuit par les ateliers où sont fabriqués les roues et tout un tas de minuscules petites pièces. Des machines, des hommes et des femmes, et encore des machines. Mais malgré cela, il y règne dans cette Manufacture une ambiance agréable. La matinée se poursuit à la cuisine. Drôle de nom pour un atelier. Mais c'est là qu'on donne dans un four la couleur bleuté aux fameuses vis apparentes des mouvements Jaeger. La partie industrielle de la manufacture est tout bonnement impressionnante. Je m'attendais pas du tout à cela. En effet, en tout et pour tout, près de 900 personnes travaillant sur 19'000m2 à ces étapes.... et les montres ne sont toujours pas montées!! La matinée se terminera dans les ateliers Atmos où nous découvrons le secret de cette pièce intemporelle qui est le cadeau officiel de notre diplomatie helvétique.
L'après-midi commence avec la visite d'un atelier entièrement féminin : le montage des ancres. C'est surement l'atelier "visitable" le plus impressionnant de la manufacture. Au microscope, une dizaine de femmes assemblent les deux mini rubis sur l'ancre.... Notre périple se poursuivra à l'atelier des complications. Sept pièces d'exception nous attendent sur un écrin.... nous avons la chance d'avoir un des maîtres de ce lieu qui nous détaillera chaque pièce dans ses moindres détails. Deux Master Minute Repeater (visuellement une des plus belle pièce Jaeger LeCoutre à mon goût),

Reverso grande complication à triptyque, Duomètre à Quantième Lunaire, Master Gyrotourbillon 1, Reverso Gyrotourbillon 2..... mon dieu comme il est difficile de reposer cette dernière sur l'écrin... Elle sied tellement bien à mon poignet!! Et mon regard ne peut quitter le coeur gyroscopique de se mouvement qui semble être véritablement vivant. Hervé me glisse que je peux la garder contre un "petit" chèque de Sfr 348'000.- Quelle bassesse. Je la repose délicatement sur l'écrin, le regard livide... Un jour, dans une autre vie, tu seras mienne... Nous traversons ensuite l'exposition temporaire consacrée à la Reverso qui retrace l'historique de cette montre culte qui a accueilli plus de 50 calibres de Haute Horlogerie pour finalement entrer dans le musée Jaeger-LeCoutre où sont exposés près de 80% de tous les mouvements créés par la marque et des modèles exceptionnels comme la Master Compressor Extrem Lab (Premier mouvement sans huile) fabriquée qu'en trois exemplaires...
La journée se termine par une manipulation de la gamme complète dans un salon feutré. Nous avons tout loisir d'examiner tranquillement de très près chacune des pièces de la collection actuelle....


quand soudain notre maître de cérémonie attire notre attention. Une ultime surprise enous attend. Hervé nous prévient : "Messieurs, vous allez vivre un moment incroyable et exceptionnel.... Cette dernière boite contient trois pièces... trois pièces qui ne sont jamais venues à la boutique de Genève... dont la valeur totale est de plus de 2mio €... Messieurs faite extrêmement attention à ses pièces délicates... manipuler les avec la plus grande prudence..." Avec délicatesse nous nous remettons de main en main la boîte qui contient Hybris Mechanica : à droite HM à Grande Sonnerie, la première montre bracelet dont les timbres reproduisent intégralement la mélodie du carillon de Big Ben. Au milieu, La Master Grande Tradition Grande Complication qui abrite le premier tourbillon volant. Au gauche, la Reverso Grande Complication à Triptyque... Tout simplement bluffant. L'émotion de tenir ces montres d'un autre monde est difficilement retranscriptible. La beauté et l'équilibre de l'ensemble, la finesse et la délicatesse des décorations sur les mouvements, tout est bonnement parfait. Du très grand Art.

Il est 16.40. La visite s'achève et nous nous retrouvons sous un soleil radieu sur le parking de la Manufacture. Nous avons vraiment du mal à quitter ce petit village de la vallé de Joux. Au final, la passion qui anime ce lieu chargé de passé et d'histoire est tout bonnement palpable lorsque vous traversez les différents couloirs, salles et ateliers. Les employés sont sympathiques et prennent sur leur temps de travail et de concentration pour discuter avec vous de la passion qui les anime et des spécificités de leurs métiers. Mais c'est surtout avec un esprit confus malgré des yeux pétillants et remplis de rêves que vous quittez ces lieux en vous demandant pourquoi vous travaillez dans cet environnement tellement vide de passion qu'est la finance...
Un grand merci à Hervé pour avoir partagé son savoir immense sur la Manufacture, ses montres et calibres avec nous et à Sébastien (de wheels-and-you.ch) pour avoir organisé cette visite exceptionnelle.